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Quoi de neuf dans la Silicon Valley ?

Pourquoi les entreprises tardent à adopter l'IA générative ?
par Georges Nahon

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L'IA générative (IAG) est une technologie transformatrice non incrémentale qui peut avoir des implications et des impacts commerciaux considérables pour les entreprises. Elle n'est passée à l'échelle que très récemment grâce à l'exceptionnelle puissance de calcul informatique disponible seulement aujourd'hui avec des algorithmes performants et des puces spécialisées (GPUs). Le grand public jusqu'à présent était le principal consommateur à grande échelle de services de l'IAG comme ChatGPT. Mais on ne voit pas beaucoup de développements pour entreprises sauf à destination de segments comme la communauté juridique malgré notamment l'engagement des BigTech, des Big Four de l'audit et du conseil et les ESNs.
 

Les avantages avancés pour l’IAG pour l'entreprise sont pourtant attractifs

Elle peut analyser très rapidement de grandes quantités de données, identifier des tendances enfouies et générer des prévisions ou des simulations pour aider à la prise de décision. Elle peut optimiser les processus et enrichir la planification stratégique et trouver de nouvelles façons créatives de résoudre des problèmes beaucoup plus rapidement. Elle trouve des applications dans la relation clients, création de contenus, écriture ou soutien à l'écriture de code informatiques ou à leur vérification. Elle peut produire des nouveaux documents de qualité professionnelle ou résumer des documents longs et complexes, ce qui permet d’identifier rapidement les points les plus importants d’un contrat, d’un texte juridique, ou d’une transcription de conversation. Enfin il y a l'utilisation de l'IA et de l’IAG pour gérer la cybersécurité par exemple en mettant en lumière des menaces plus sophistiquées, en recommandant des environnements de sécurité contextualisés et en simulant des attaques.
 

Utilisation de l’IAG par et dans les entreprises

Il y a des expérimentations et des preuves de concepts un peu partout, notamment du fait de l'utilisation assez répandue de l'IA classique depuis plusieurs années. Mais l'adoption réelle de l’IAG par les entreprises se fait attendre.

L’IAG se répand pourtant au travail, la prise conscience de la disponibilité de l’IAG est élevée aux USA, autour de 48% dans les entreprises mais seulement 16% l'utilisent avec 21% prévoyant de l'utiliser dans les 12 mois selon Activate Consulting.

À titre de comparaison, l'entrée de l'internet dans les entreprises avait demandé quelques années après l'explosion de l'internet grand public grâce à l'apparition du logiciel navigateur avec la norme HTML pour PC en 1994 facilitant l'accès et l'usage des services et avec l'arrivée des FAIs. Il s'agissait de moderniser et d'unifier les systèmes d'information existant, puis d'inventer de nouveaux produits, services et outils. Et ce, même si tous les collaborateurs utilisaient déjà largement internet à titre privé, un peu comme ChatGPT aujourd'hui. Mais l'adoption de l’IAG est au moins trois fois plus rapide dans le grand public qu'internet. Donc on s'attendrait à une adoption plus rapide de l’IAG par les entreprises. D’une certaine manière, l’essor de l’IAG ressemble à la propagation du cloud, mais à un rythme beaucoup plus accéléré.

Selon une étude de Terradata, bien que près de 80 % des 900 dirigeants mondiaux interrogés aient un niveau de confiance élevé ou significatif dans le fait que l’IAG pourrait être exploitée pour les futures offres et fonctionnement de leurs entreprises, il reste encore du travail à faire ; 86% des personnes interrogées s’accordent à dire qu’une plus grande gouvernance est nécessaire pour garantir la qualité et l’intégrité des informations de l’IAG, et 66 % ont également exprimé des inquiétudes quant au risque de partialité et de désinformation.

Une autre enquête du MIT Technology Review Insights en aout 2023 montre que les dirigeants d’entreprise reconnaissent massivement le potentiel de transformation de l’IAG. Pas moins de 96 % des entreprises qui ont participé à l’enquête estiment que l’IA générative aura un impact sur leurs activités. Cependant, seulement 9 % d’entre eux ont pleinement déployé un cas d’utilisation d’IAG au sein de leur organisation, ce qui indique une approche prudente et attentiste de l’adoption.

Le déficit croissant de compétences autour de l’IAG est également une préoccupation, avec seulement 30 % des personnes interrogées déclarant qu’elles sont bien préparées ou prêtes à tirer parti de l’IAG aujourd’hui, et seulement 42 % étant tout à fait d’accord pour dire qu’elles auront les compétences pour mettre en œuvre l’IAG dans 6 à 12 mois. Néanmoins, la pression pour la mise en œuvre augmente, 56 % d’entre elles confirmant qu’elles sont soumises à une pression élevée ou significative pour tirer parti de l’IAG au sein de leur organisation au cours des 6 à 12 prochains mois.

Pour combler ce déficit de compétences, la collaboration très tôt avec des start-ups spécialisées, des Big Tech et des entreprises de services numériques (ESNs) peut s'avérer fructueuse et fera gagner du temps tout en permettant de se tenir à jour des innovations.
 

Pourquoi donc, ce retard de l’IAG en entreprise ? Est-ce trop difficile à embarquer dans les processus et les stratégies ?

Une étude menée par KPMG auprès de dirigeants américains a révélé que près des deux tiers (65 %) des 225 dirigeants américains interrogés estiment que l’IA générative aura un impact élevé ou extrêmement élevé sur leur organisation au cours des trois à cinq prochaines années, bien au-delà de toutes les autres technologies émergentes mais une majorité (60 %) des personnes interrogées ont déclaré que, même s’ils s’attendent à ce que l’IA générative ait un impact important à long terme, il faudra attendre un an ou deux avant de mettre en œuvre leurs premières solutions.

Le premier coupable du manque d'adoption c'est la lenteur systémique des entreprises et la complexité existante dans leurs fonctionnements. Mais c'est surtout leur sensibilité indispensable à la protection de leurs données, et à leur sécurité. Les premières utilisations sauvages par des collaborateurs de services d’IAG externes ont pu faire fuir des données importantes ou des morceaux de logiciels de l'entreprise. Chat échaudé… Et il y aussi le risque de produire des documents qui ne respectent pas les droits d'auteurs (il faut pourvoir identifier les auteurs !)

Mais surtout un dilemme de choix technologique se pose : "Modify or Build" son IAG ? Faut-il s'appuyer sur des systèmes existants extérieurs capables de rapidement personnaliser le service avec des données de l'entreprise, un peu comme sur le modèle du cloud computing, moins onéreux à court terme, ou développer son propre système d’IAG (plus couteux à développer et à exploiter mais plus sûr) ?

Ensuite, la question est de définir qui a la responsabilité et la gouvernance de l’IAG ? Qui gère la sécurité ?

Il y a beaucoup d'idées de services à développer avec l’IAG mais qui en a la responsabilité n'est pas clair. Du système d'information aux métiers, chacun veut développer son projet indépendamment ("shadow IA") et cette concurrence interne peut ralentir la mise en place d'une stratégie IAG de l'entreprise. Il y a de bonnes intentions mais passer trop de temps dans la création et l'animation de centres d'excellences en IAG et dans des preuves de concepts ou autre "démo-ware" peut défocaliser l'entreprise de son besoin de créer et d’exécuter une stratégie unifiante.

Il y a d'autres préoccupations comme celle de s'assurer que les données générées par l’IAG soient exactes et fiables et que les risques soient bien sous contrôle. L’IAG utilise si bien le langage naturel qu’il est parfois difficile de déterminer si un modèle a généré une réponse inexacte.

Il faut aussi que les données de l'entreprise soient bien "prédisposées" à l’entrainement efficace de l’IAG ce qui demande de nouvelles compétences et de nouveaux moyens.

La formation des employés à l’utilisation appropriée et à la gestion des risques de l’IA générative est un passage obligé en amont qui va au-delà de l’apprentissage sur le tas avec des chatbots grand public.

Malgré ces défis, la pression pour mettre en œuvre l'IAG augmente. 56 % des personnes interrogées ressentent une pression significative pour adopter l'IAG au sein de leur organisation au cours des 6 à 12 prochains mois.

Autre problème, les dirigeants pourraient être tentés de concentrer tous leurs efforts sur l'amélioration à court terme de la productivité avec l’IAG grâce notamment à la baisse escomptée des couts et des emplois. Mais c'est courir le risque de faire comme les autres, sans réelle différenciation. On pourrait ainsi négliger des domaines qui pourraient ne pas être immédiatement rentables, mais qui sont essentiels pour anticiper les changements nécessaires à l'entreprise face à de nouveaux acteurs imprévus ou des offres concurrentielles émergentes, toutes rendues possibles par l’IAG. Une erreur serait de traiter une technologie de rupture comme l'IAG seulement comme un ingrédient.
 

Prévisions plutôt optimistes

Pourtant, il semble bien que le marché va décoller après la phase actuelle d'expérimentations et de tâtonnements.

Une étude d’International Data Corporation (IDC) montre que les entreprises investiront près de 16 milliards de dollars dans le monde entier dans les solutions IAG en 2023. Ces dépenses, qui comprennent les logiciels IAG ainsi que le matériel d’infrastructure connexe et les services informatiques/commerciaux, devraient atteindre 143 milliards de dollars en 2027 avec un taux de croissance annuel (CAGR) de 73,3 % au cours de la période de prévision 2023-2027. C’est plus de deux fois le taux de croissance des dépenses globales en IA et près de 13 fois supérieur au CAGR des dépenses informatiques mondiales au cours de la même période.

Une enquête du Conference Board indique que 56 % des employés américains utilisent déjà des outils d’IAG, au moins occasionnellement et 10 % de façon quotidienne, pour accomplir des tâches liées au travail.

Les collaborateurs utilisent principalement des outils d’IAG pour les tâches de base impliquant du texte : la rédaction de contenu écrit (68 %), le brainstorming d’idées (60 %) et la réalisation de recherches de fond (50 %) sont les cas d’utilisation les plus courants. Beaucoup moins de personnes interrogées utilisent l’IAG pour des tâches quantitatives et techniques, telles que l’analyse de données et la production de prévisions (19 %), la génération/vérification de code informatique (11 %) ou la reconnaissance et la génération d’images (7 %).

La plupart des personnes interrogées pensent que la qualité des résultats de l’IA correspond à celle d’un travailleur humain chevronné : 45 % affirment que la qualité est égale à celle d’un travailleur expérimenté. 31 % affirment que la qualité est égale à celle d’un travailleur novice. 10 % affirment que la qualité est égale à celle d’un travailleur expert.

Mais curieusement, l'adoption lente de l’IAG par les entreprises ne semble pas refléter pour le moment l'enthousiasme des investisseurs. En effet, le financement des entreprises d’IA a augmenté de 27 % à l’échelle mondiale au troisième trimestre 2023 par rapport à l’année précédente, alors même que le nombre total de transactions pour les startups a chuté de 31 % selon le cabinet Pitchbook.

En réaction au battage médiatique d’aujourd’hui, reporter à plus tard ou marginaliser l'IAG qui pourrait rapidement devenir la réalité de demain risque de désavantager les entreprises hésitantes.

Face au fort potentiel de l'IAG il faut en fait accélérer son adoption car l’innovation est très active et son évolution très rapide.

Il est urgent de ne pas attendre.
 

Georges Nahon
Analyste des technologies numériques de la Silicon Valley
Précédemment pendant quinze ans DG d'Orange à San Francisco.
Novembre 2023

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