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Quoi de neuf dans la Silicon Valley ?

Software 2.0 : l’IA va-t-elle remplacer les ingénieurs logiciels ?
par Georges Nahon

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L'irrésistible ascension du "vibe-coding" et du CHOP, Chat-Oriented Programming
 

L'impact croissant de l'IA sur l'industrie du développement de logiciel

Dans un rapport récent de la société d'IA, Anthropic, le développement de logiciels et les tâches d'écriture constituent actuellement près de la moitié des interactions des utilisateurs avec Claude, le chatbot d'Anthropic. D'après le New York times et la société d'études, Evans Data, près de deux tiers des développeurs de logiciels utilisent déjà des outils de codage par IA aux USA.
En 2024, lors d'une réunion sur les résultats financiers du troisième trimestre 2024 de l'entreprise, le PDG de Google, Sundar Pichai, a exprimé des préoccupations révélant qu'à Google, plus de 25 % du nouveau code informatique est généré par l'IA, avec des ingénieurs humains n'intervenant que pour la vérification.
Le PDG et cofondateur d'Anthropic, Dario Amodei (qui était Vice-Président de la recherche à OpenAI) a déclaré : "nous observons que d'ici 3 à 6 mois, l'IA va écrire 90% du code et ensuite, dans 12 mois nous serons dans un monde où l'IA écrira essentiellement tout le code "
De son coté, Arvind Krishna, le PDG d'IBM, ne pense pas que l'IA remplacera de sitôt les programmeurs : "Je pense que le chiffre sera plutôt de 20 à 30 % du code qui pourrait être écrit par l’IA – et non de 90 % "
 

La productivité améliorée par l'IA

Le PDG de Salesforce, Marc Benioff, a récemment déclaré que l'IA avait augmenté la productivité de 30% [chez ses ingénieurs logiciels] et a indiqué que son entreprise s'interrogeait sur la nécessité ou non d'embaucher des ingénieurs en logiciel en 2025
Je pense qu'en [software] ingénierie chez Salesforce, nous allons débattre sérieusement. Peut-être que nous n'embaucherons personne cette année parce que nous avons constaté de tels gains de productivité incroyables grâce aux agents [d'IA]qui travaillent aux côtés de nos ingénieurs, les rendant plus productifs".
Selon Bain & Company, l'IA générative économise actuellement 10 à 15% du temps de développement de logiciels et pourrait atteindre 30%. L'arrivée des agent IA depuis la mi-2024 a l'air d'améliorer la productivité quotidienne des développeurs entre 10 et 30% selon des études rapportées par le New York Times.
 

Meta et l’avenir de l’ingénierie logicielle

Le PDG de Meta, Mark Zuckerberg, a indiqué qu'en 2025, l'IA remplacerait les ingénieurs en logiciel de niveau intermédiaire car Meta et d'autres géants de la tech développent des IAs capables de gérer des tâches de codage complexes, des emplois qui, jusqu'à présent, reposaient sur l'expertise humaine. Il a notamment déclaré : "Nous allons avoir une IA qui pourra effectivement être une sorte d'ingénieur de niveau intermédiaire et qui pourra écrire du code". Il pense qu'à l'avenir, "les gens vont être beaucoup plus créatifs et seront libérés pour faire des choses un peu folles", rapporte Forbes. "Ce qui orientera les ingénieurs logiciels vers des responsabilités plus stratégiques". L'IA pourrait finir par prendre en charge tout le codage chez Meta, bien que M. Zuckerberg ait admis que la mise en place initiale serait coûteuse.
 

Les programmeurs remplacés par l'IA ?

L'année dernière, le PDG de NVIDIA, Jensen Huang, a suggéré que le codage pourrait bientôt devenir obsolète à mesure que l'IA prend le relais. Il a conseillé à la prochaine génération d'étudiants de [plutôt] s'orienter vers des carrières dans des domaines comme la biologie, l'éducation, la fabrication ou l'agriculture. C'est ce que pense aussi le PDG d'Amazon Web Services, Matt Garman, qui a déclaré: " Si vous vous projetez dans 24 mois à partir de maintenant … il est possible que la plupart des développeurs ne codent plus."
Mais un rapport récent de la plateforme de codage social Github soutient le contraire : l’IA ne vole pas réellement les emplois des codeurs." L’IA n’est pas là pour prendre votre travail, elle est là pour amplifier votre impact. Elle façonne l’avenir du développement de logiciels : l’IA rend les développeurs plus efficaces, créatifs et indispensables que jamais."
 

Réductions d'effectifs et réorientation vers l'IA

Workday qui produit des logiciels pour les RH, supprime environ 1 750 emplois soit 8,5% de ses effectifs car l’entreprise se concentre sur ses investissements dans l’IA.
Et le géant de la tech de San Francisco, Autodesk connu pour sa plateforme AutoCAD, supprime 1350 emplois dans le cadre de la transition vers l’IA soit 9 % de ses effectifs
Les entreprises technologiques pourraient-elles moins embaucher grâce à l’anticipation de l’augmentation de la productivité que les outils d'IA générative pourraient apporter aux ingénieurs existants ? Pas forcément évident mais il est probable que plusieurs entreprises pourraient adopter une approche attentiste, en ralentissant l’embauche ou même en la mettant en pause pendant qu’elles essaient d'y voir plus clair sur le réel impact de l'IA sur la production de logiciels.
 

Les tendances actuelles dans l’emploi des ingénieurs logiciels aux USA

En effet, dans l’ensemble, les offres d’emploi d’ingénieurs logiciels sur Indeed sont à leur plus bas niveau depuis cinq ans. Il y a 10 % d’emplois répertoriés en plus en février 2025 par rapport à février 2020. Mais y a 35 % moins d’annonces pour les développeurs de logiciels.

Une autre analyse, de CompTIA aux USA a révélé que le taux d’offres d’emploi pour les ingénieurs logiciels a chuté de 50 % de janvier à décembre 2023, se redressant légèrement à la fin de 2024, la baisse des ingénieurs logiciels ayant été la plus forte. Mais CompTIA pense que la raison de la chute n’est pas claire. Les entreprises technologiques, qui avaient surembauché pendant la pandémie, ont licencié des milliers de travailleurs en 2022 et 2023, beaucoup invoquant l’incertitude économique.

Le Wall Street Journal mentionne que le taux de chômage dans l'informatique aux USA est passé de 3,9% en décembre 2024 à 5,7% en janvier 2025 notamment à cause de l'impact adverse de l'IA. "L’augmentation des investissements des entreprises dans l’IA a montré des signes précoces de futures réductions d’embauche, un concept que certains leaders technologiques commencent à appeler l’évitement des coûts. Plutôt que d’embaucher de nouveaux travailleurs pour des tâches qui peuvent être plus facilement automatisées, certaines entreprises laissent l’IA prendre en charge ce travail et espèrent récolter des économies potentielles."

Selon le Wall Street Journal , près d’un emploi sur quatre dans le secteur de la technologie aux États -Unis depuis le début de l’année recherche des employés dotés de compétences en intelligence artificielle. Dans le secteur de l’information, qui comprend de nombreux géants de la technologie qui investissent massivement dans le développement et le déploiement de l’IA, 36 % des emplois en informatique affichés en janvier étaient liés à l’IA. Les nouvelles annonces liées à l’IA ont augmenté de 68 % entre le moment où ChatGPT a été lancé au dernier trimestre de 2022 et la fin de l’année dernière, alors que les annonces techniques ont diminué de 27 % au cours de la même période.
Mais, les entreprises recherchent principalement des personnes qui ont de l’expérience ou des connaissances dans l’intégration de l’IA dans des rôles qui existent déjà, et n’embauchent pas pour des rôles complètement nouveaux axés sur l’IA.
 

La fin de la programmation telle que nous la connaissons : du déjà-vu ?

Chaque fois qu'il y a eu une transition de phase dans l'informatique, on a entendu parler de la fin de la programmation. Depuis l'assembleur, les langages compilés comme le COBOL, le Fortran puis C et C++, Java ont fait que les programmeurs n'avaient plus à se préoccuper de l'assembleur. On pouvait utiliser un langage qui se rapprochait de la logique du raisonnement humain plutôt que la manipulation de code binaire pour faire fonctionner les machines. Ce qui a popularisé la programmation y-compris par la suite avec le BASIC que des non-spécialistes pouvaient utiliser pour bidouiller les ordinateurs personnels. Avec la croissance très rapide des PCs, y-compris coté grand public, il y a eu plus de programmeurs, pas moins. Par exemple pour la catégorie jeux vidéo qui devait atteindre des tailles de marché très importantes. Quand le Web est arrivé il est devenu possible de créer simplement des applications et des sites web avec un niveau restreint de compétences en informatique, avec des outils comme Weebly, Wix, Squarespace, Webflow ou Wordpress. Le même phénomène s'est retrouvé ensuite pour développer des applications pour smartphones ou de sites optimisés pour leurs petits écrans. Quand les applications Web se ont enrichies et complexifiées, sont apparus des nouveaux langages comme JavaScript et Python qui ont facilité encore plus de développements de services interactifs avec la contribution d'un nombre toujours croissant de développeurs.
 

Software 2.0: la transformation de la programmation de logiciels par l'IA.

Ce concept, introduit par Andrej Karpathy, ancien directeur de l’IA chez Tesla et co-fondateur d'OpenAI, se différencie de la programmation traditionnelle (Software 1.0) en utilisant des jeux de données pour définir le comportement souhaité et des architectures de réseaux neuronaux comme squelette du code. Il s’agit de programmation par l’exemple, où les programmes sont générés en analysant de grandes quantités de données, en identifiant des structures et en créant des modèles basés sur ces structures. Cette approche est à l’origine de la transition d’un code écrit par des humains (Software 1.0) vers un code écrit par l’IA, généralement sous la forme d’apprentissage profond (Software 2.0) selon Stephen M. Walker II.

La trajectoire parait évidente. Chaque nouvel LLM nous rapproche d'un avenir où l'intervention humaine devient superflue pour la plupart des tâches de programmation. Les experts qualifient cette nouvelle approche de "Software 2.0 " où les humains ne rédigent plus d’instructions explicites, mais définissent des objectifs et des contraintes, laissant à l’IA la responsabilité d'écrire le logiciel nécessaire pour les atteindre. Mais les IA n’offrent pas d’abstractions. Ils ne sont pas créatifs, ils n’ont pas de "meilleures idées" que ce que contiennent leurs données d’entraînement. Ils n’assument pas la responsabilité de leur travail. Même si les LLMs actuels ont encore des limitations, il semble bien que la nature de la programmation soit en train de changer de façon irréversible.
 

Pour les non informaticiens (et les informaticiens) voici le "Vibe Coding"

Le "codage par l'ambiance" est une approche non orthodoxe inventée par Andrej Karpathy. Avec le "vibecoding" on peut faire développer un programme avec de simples taches sans avoir à coder. Cela rappelle un peu dans l'esprit l'enregistrement des macros d'Excel. C'est intuitif et itératif en mode conversationnel mais cela fournit des programmes simples qui fonctionnent assez bien. Des outils comme Cursor AI avec son composer, ou Bolt, Replit et Lovable permettent de d'y essayer.  On décrit la tâche à accomplir en une ou deux phrases en langage naturel. On peut itérer pour affiner rapidement. Cependant il y des limitations liées à l'optimisation du code, à la sécurité et à la capacité de dépanner le code généré par l'IA. Et il faut donc une supervision/vérification humain du bon déroulement du code et pour le moment éviter de l'utiliser pour des applications sensibles et complexes. Le code produit n'est pas de la qualité de celui créé épar un humain, (pour le moment ?).

Pour mettre ce qui se passe avec le Vibe-Coding en contexte voici ce que disait récemment Andrej Karpathy :
"Il y a un nouveau type de codage que j'appelle le "codage intuitif" [vibe-coding], où l'on se laisse complètement porter par l'atmosphère [ambiante], où l'on embrasse les exponentielles, et où l'on oublie même que le code existe. ... je touche à peine le clavier. J'accepte tout [le code généré]" systématiquement, je ne lis plus les diffs [différences d'une version à l'autre]. . Quand j'ai des messages d'erreur, je les copie-colle [dans le LLM] simplement sans commentaire, et généralement ça résout le problème. Le code produit par l'IA dépassant ma compréhension habituelle, je devrais vraiment le lire attentivement pendant un moment [pour le corriger]. Parfois, les LLM ne peuvent pas corriger un bug, alors je le contourne ou je demande des changements aléatoires jusqu'à ce qu'il disparaisse. Ce n'est pas trop grave pour les projets éphémères de week-end, mais c'est quand même assez amusant. Je construis un projet ou une application web, mais ce n'est pas vraiment du codage - je vois des choses, je dis des choses, j'exécute des choses et je copie-colle des choses, et ça marche la plupart du temps."
L'idée principale ici est de transmettre une approche empirique et parfois guidée par le hasard du développement logiciel, où le copier-coller et les solutions de contournement prévalent sur une compréhension approfondie du code.

D'autres exécutifs influents du paysage du développement logiciel aux USA ont aussi partagé leurs points de vue et cela dénote un engagement important en faveur du vibe-coding.
"Je pense que le rôle d'ingénieur logiciel évoluera vers celui d'ingénieur produit. Le cachet de l'humain est plus important que jamais, car les outils de génération de code [par l'IA] transforment tout le monde un ingénieur 10x. [dix fois plus productifs]. Je pense que le rôle d'ingénieur logiciel évoluera vers celui d'ingénieur produit. Le cachet humain est plus important que jamais, car les outils de génération de code font de tout le monde un ingénieur 10x.]. Selon Lo Paz de la société Outlit.

"Je suis beaucoup moins attaché à mon code, donc mes décisions lorsque nous décidons de le supprimer ou de le refactoriser sont moins biaisées. Comme je peux coder trois fois plus vite, il m'est facile de tout abandonner et de réécrire si nécessaire. " Selon Abhu Balijepalli de la société CopyCat.
"J'écris tout avec [l'outil] Cursor. Parfois, j'ai même deux fenêtres de Cursor ouvertes en parallèle et je les utilise pour demander des suggestions sur deux fonctionnalités différentes." Selon Yoav Tamir de la société Casixty.

Il semble bien que le Vibe-Coding ne soit pas éphémère et qu'il s'agisse d'une évolution durable. C'est en train de devenir la méthode de codage prédominante dans la Silicon Valley chez les entrepreneurs. Les professionnels qui ne l'adoptent pas risquent d'être désavantagés.
 

L'émergence de CHOP, Chat-Oriented Programming ou la programmation orientée-chat

Aujourd'hui, la progression continue pour l'écriture de logiciels : à l'ère de l'IA appliquée au développement de logiciel, il est devenu possible d'interagir en langage naturel aves les LLMs sans coder, pour ordonner la production de code et de programmes répondant à ces demandes. Selon Steve Yegge de Sourcegraph, Chop n’est pas seulement l’avenir, c’est le présent. "Et si vous ne l’utilisez pas, vous commencez à prendre du retard sur ceux qui l'utilisent. "Le passage au Chop procure aux ingénieurs en entreprises une augmentation minimale de 30 % de la productivité à tous les niveaux, même lorsque les ingénieurs pensent qu’ils sont plus lents avec Chop. Ce chiffre est conservateur selon Yegge.
 

Ce que les fondateurs de startups du célèbre accélérateur Y Combinator disent du "Vibe Coding"

Y Combinator (YC) est un accélérateur de startups technologiques basé dans la Silicon Valley qui a financé et incubé des startups célèbres dont Airbnb, Coinbase, Reddit, Dropbox et Stripe.  
Il est toujours intéressant de comprendre ce à quoi pensent ces nouveaux fondateurs des technologies ambiantes car ils sont souvent à l'avant-garde de transformations importantes. Un sondage a été fait en février/mars 2025 auprès d'entrepreneurs de la promotion actuelle de YC. Parmi les questions on trouvait :
Quels outils [de développement] utilisez-vous ? Comment vos méthodes de travail ont-elles évolué ? Quelle est votre vision de l'avenir de l'ingénierie logicielle ? Et comment le rôle de l'ingénieur logiciel va-t-il se transformer à l'ère du 'codage intuitif' ?" Quel pourcentage de votre code est écrit par des LLMs ?

La réponse à cette dernière question est instructive :  un quart des fondateurs disent que plus de 95% de leur code a été généré par l'IA. On peut pondérer cela en tenant compte du fait que même si les fondateurs sont des esprits extrêmement techniques, ils n’ont pas de formation classique en informatique et en programmation et "ils sont incroyablement productifs et capables de produire une tonne de produits vraiment incroyables et l’IA écrit presque tout". C’est la génération qui a grandi avec des outils de codage Native AI. Ils ont sauté la formation classique d’un ingénieur logiciel et ils codent naturellement avec les" Vibes", mais ils sont en fait très techniques et ils ont des diplômes en mathématiques et en physique. Ce qui laisse penser que la façon dont les gens embauchent des ingénieurs change, mais peut-être pas assez vite.
 

La montée en charge de la collaboration IA/humains

"La trajectoire de l'IA dans l'industrie technologique laisse entrevoir un avenir où l'intelligence humaine et l'IA collaborent, conduisant à une transformation du travail. Pour prospérer dans ce paysage en évolution, les informaticiens pourront s'adapter en faisant évoluer leurs rôles et compétences et en se perfectionnant, ce qui favorisera l'émergence de forces de travail plus adaptables et plus résilientes pour l’avenir."

L'IA prend donc en charge une plus grande partie du travail ce qui constitue un changement majeur pour les ingénieurs en logiciel et les codeurs. Mais cela ne veut pas dire à priori que les emplois de codage vont disparaître. Les ingénieurs pourront se refocaliser sur la supervision, le raffinement et le guidage du code généré par l'IA pour garantir son exactitude et son efficacité.
"L’augmentation de la production de codage de l’IA accroit également la demande pour des développeurs expérimentés et créatifs pour interpréter et utiliser le travail de l’IA à bon escient".

Sa capacité à automatiser les tâches répétitives, à améliorer la qualité du code, à mettre en œuvre de nouvelles méthodologies de développement logiciel et à personnaliser l’expérience de développement logiciel signifie que les développeurs humains ont le temps de se concentrer sur des tâches plus complexes dont l’IA n’est pas capable. Il y a tellement de nouvelles choses à apprendre et à bâtir. Et si les IAs rendent les programmeurs dix fois plus productifs, la "surface programmable" d’une entreprise augmentera en parallèle par le temps libéré ce qui permet de s'attaquer à de nouveaux défis et en conséquence il faudra finalement recruter davantage de ces nouveaux programmeurs dix fois plus productifs.
 

L'IA n'en est pas à pouvoir faire 100% du travail d'un développeur humain

Un article de janvier 2025 de Gergely Orosz et Addy Osmani (ingénieur chez Google) remet un peu les pendules à l'heure. Ils pensent que 2025 sera l'année des agents IA d'ingénierie de logiciel qui complèteront judicieusement la gamme d'outils de développement de code par IA. Car la situation actuelle est jugée par eux non satisfaisante. Ce que Osmani appelle le "problème des 70%".

"Les non-ingénieurs qui utilisent l’IA pour coder se heurtent à un mur frustrant. Ils peuvent faire 70 % du chemin étonnamment rapidement, mais les derniers 30 % deviennent un exercice à rendements décroissants.". Les progrès initiaux semblent magiques : vous pouvez décrire ce que vous voulez, et des outils d’IA généreront un prototype fonctionnel qui a l’air impressionnant. Mais la réalité est différente. Les non-informaticiens restent bloqués sur les derniers 30 % d’un programme complexe parce qu’ils n’en savent pas assez pour déboguer le code et guider l’IA vers la bonne solution. Alors qu'un ingénieur expérimenté ne va pas accepter tel quel ce que l'IA produit. Il va challenger le code jusqu'à se sentir à l'aise avec sa mise en test puis en production. Ce que ne fait pas un débutant ou un non informaticien. Comme le dit T. O'Reilly, l'IA n'introduit pas une nouvelle façon de penser. Elle révèle ce qui nécessite de penser. Et la signification de "programmer" changera pour faire référence à l'acte d'organiser des idées en programmes exécutables. L'IA rend ceux qui savent l'exploiter plus ambitieux dans leurs projets.
 

La disparition du développeur junior ?

Alors que les ingénieurs expérimentés sont optimistes à propos de l’IA, les jeunes ingénieurs ont plus de raisons de s’inquiéter.
Le métier traditionnel de "développeur junior" serait en train de s’évaporer rapidement parce que les entreprises n'auraient plus besoin de novices pour les tâches qu’une IA peut accomplir d'ores et déjà.

Les entreprises aux USA embauchent moins de nouveaux diplômés pour des postes de programmeurs, et ceux qu’elles embauchent sont censés être plus performants, souvent en tirant parti de l’IA dès le premier jour. Si l’IA prend en charge le travail typique des développeurs juniors, les formations de nouveaux informaticiens humains devront changer.
Selon T. Singh de Real AI Inc., "dans tous les cas, le développeur junior du futur passera probablement autant de temps à interagir avec les résultats de l’IA qu’à écrire du code. Leur valeur ne sera pas jugée sur le nombre de lignes de code qu’ils peuvent produire (l’IA peut en faire des milliers), mais sur la rapidité avec laquelle ils peuvent transformer une idée ou une spécification floue en un produit fonctionnel en tirant parti de l’IA. C’est un modèle différent avec de nouvelles règles, et la première règle est que les emplois de codage traditionnels de niveau débutant sont une espèce en voie de disparition."
 

Déjà, le déclin annoncé du "prompt engineering"

Il y a encore quelque temps en 2023 on pensait que la compétence d'ingénierie des prompts (invites) devenait un rôle de plus en plus important car capable de concevoir et d'écrire des textes susceptibles d'obtenir de biens meilleurs résultats des chatbots d'IA comme ChatGPT. Mais des chercheurs ont l'air d'avoir trouvé que des IA peuvent être entrainés à le faire eux-mêmes. Les modèles d’IA générative pourraient bientôt être entraînés à optimiser leurs propres invites.

Des chercheurs de VMware, une société de cloud computing de Palo Alto, en Californie, ont découvert que les grands modèles de langage étaient plus que capables d’écrire et d’optimiser leurs propres invites. L'étude s'intitule : L'efficacité déraisonnable des prompts automatiques excentriques. Ils déclarent : "Nous montrons que l’utilisation d’un optimiseur d’invite automatisé apparaît comme la méthode la plus efficace pour améliorer les performances. Cette étude s’efforce de quantifier l’influence de l’incorporation de la pensée positive dans le message système de l’invite, puis de la comparer à l’optimisation systématique de l’invite. Dans la plupart des cas, l’inclusion de la pensée positive a eu un effet positif sur les performances du modèle. Une autre étude de Google DeepMind a trouvé qu'un LLM pouvait "surpasser les invites conçues par l’homme." Un journaliste du New York times, Casey Newton, a parlé de la façon dont ChatGPT lorsqu’il produit un résultat, transforme l’invite d’un utilisateur en arrière-plan. Les utilisateurs ont alors la possibilité de voir comment le LLM a réinterprété leur invite. ". Je peux vous dire que cette chose est bien meilleure que moi pour écrire des invites …. Pour moi, cela a totalement fait voler en éclats le concept d’ingénieurs d’invites…"
Le sujet est dans l'air…
 

L'IA ne remplace pas les programmeurs, mais modifie leur rôle

Même si historiquement l’automatisation élimine certains emplois, la technologie crée souvent une demande pour de nouveaux rôles. La plupart des gens occupent aujourd’hui des emplois qui n’existaient pas avant 1940. L’élimination complète des ingénieurs logiciels ne se concrétisera probablement pas dans un avenir proche, mais le potentiel d'un nouveau besoin d'ingénieurs plus expérimentés est prometteur indique la journaliste A. Hoover. Pour simplifier, l’IA modifie la programmation par deux voies : on peut livrer la même chose plus rapidement, ou on peut livrer quelque chose de mieux dans le même laps de temps. On peut ainsi s'attendre à l'augmentation de la qualité, de la créativité et de l'originalité du travail fourni par la collaboration IA-humains.

Les Cassandres prétendent que nous avons atteint un point d’inflexion où l’IA ne se contente pas de remplacer les emplois ; elle met en cause selon eux la nécessité de certains rôles informatiques. Mais ce ne sont pas les programmeurs qui perdront leur emploi à cause de l'IA. Ce seront les personnes – dans tous les rôles – qui ne deviendront pas des programmeurs assistés par l’IA. "L’IA ne va pas vous remplacer comme codeur. Mais un développeur qui sait comment exploiter l’IA dans le processus de développement pourrait bien vous remplacer."
 

Conclusion

Les compétences dont les développeurs de logiciels ont besoin vont changer significativement, mais l’IA n’éliminera pas le besoin de développeurs humains.
Comme le rappelle T. O'Reilly : " pour ce qui est des codeurs, l'IA a déclenché une évolution, et non une extinction."
Ce n’est pas la fin de la programmation. C’est le début de sa dernière réinvention.

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