Aller au contenu principal
shapes shapes
Quoi de neuf dans la Silicon Valley ?

Trump 2.0 et la tech américaine
par Georges Nahon

image hero
L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats Unis le 5 novembre 2024 suscite des spéculations sur l’évolution des relations de la nouvelle administration républicaine américaine avec le secteur de la technologie et en particulier avec la Silicon Valley. Même si la technologie n'était pas l' enjeu central de ces élections, la participation très active d'Elon Musk et de milliardaires de la Silicon Valley à la campagne de Trump a néanmoins apporté une distorsion au modus vivendi électoral traditionnel en élevant la tech à un niveau de visibilité rarement observé dans les précédentes élections américaines.
 

Le trumpisme technologique

Le programme du candidat Trump pour ce qui concerne les technologies et en particulier le numérique tourne autour de la réduction de la réglementation, des dispositions fiscales risquant de pénaliser le secteur, mais également de la diminution de l’interventionnisme jugé idéologique et trop important de l’administration centrale sur le fonctionnement de l’économie de marché. Un point central de l’attitude protectionniste des républicains en ce qui concerne la technologie, c’est le rôle que la Chine peut jouer dans les innovations critiques dans lesquelles les ÉtatsUnis entendent conserver un avantage. Déjà l’administration Biden avait mis sur pied des dispositions tarifaires sévères contre la Chine et des restrictions d’exportation notamment dans le domaine des semiconducteurs les plus évolués, comme ceux qu’utilise l’intelligence artificielle. Avec Trump 2.0 la guerre froide de l'I.A. avec la Chine ne peut que se durcir.

Les républicains (GOP= Grand Old Party) sont hostiles aux réseaux sociaux qu’ils considèrent comme de la "censure" en faveur des démocrates et de la culture woke/cancel. Ils dénoncent la façon dont les contenus sur ces médI.A.sociaux sont contrôlés qu'ils jugent biaisée à leur encontre, et qui ne respectent pas les règlements de ces plateformes. Après l’attaque du Capitol à la fin de Trump 1.0, ses sympathisants et alliés ont en effet été exclus de plusieurs réseaux sociaux, Google, Twitter, Youtube, Tiktok, Instagram, Facebook (temporairement), Discord, Pinterest Amazon AWS, Apple, Reddit, Shopify, Twilio, Stripe, Twitch.

De leur côté, les démocrates ont aussi été remontés contre les Big Tech et leurs réseaux sociaux à qui ils ont reproché de ne pas avoir réussi à contrôler ni à empêcher plusieurs préjudices, notamment les "fake news", le racisme et d’autres formes d’oppression et de discrimination et les influences négatives sur les mineurs et les faibles. Sur ce point des deux partis en veulent aux réseaux sociaux mais pas pour les mêmes raisons.

Le soutien du GOP aux industries de l'I.A.et du quantique est prépondérant.
Dans sa plateforme électorale de juillet 2024, le GOP déclare aussi soutenir les cryptomonnaie. Les républicains veulent en effet aider les entreprises de ce secteur, en mettant notamment fin à ce qu'ils considèrent une "répression illégale et anti-américaine des cryptomonnaies" de la part des démocrates. Il s'agit aussi de s’opposer à la création d’une monnaie numérique de banque centrale et de défendre le droit de "miner (produire)" des bitcoins. Leur but est aussi de garantir que chaque Américain ait le droit de conserver luimême ses actifs numériques et d’effectuer des transactions sans surveillance ni contrôles gouvernementaux.
Dans le but de "revenir à la paix par la force", les républicains veulent moderniser l’armée en investissant dans la recherche et les technologies de pointe, y compris dans un bouclier de défense antimissile "Dôme de Fer". Et pour arrêter "l’invasion de migrants", les républicains utiliseront "une technologie de pointe pour surveiller et sécuriser la frontière".
 

Le GOP se méfie des grands médias américains qu’il considère wokistes et gauchistes

Trump détestait par exemple le fait que Jeff Bezos, fondateur et exCEO d’Amazon possédait le Washington Post qui avait soutenu Joe Biden et dont il jugeait le contenu hostile. En retour, Amazon avait accusé Mr. Trump de faire pression sur le Pentagone pour provoquer l’annulation d’un gros contrat de cloud computing que la société avait remporté.
Mais pour cette élection, le "Washington Post" n’a pas donné de consigne de vote, à la demande de Jeff Bezos son propriétaire. Dans une tribune, J. Bezos a tenu à expliquer que cette décision permettrait d’éviter toute impression de manque d’indépendance du journal. Cependant, on l’a accusé d’avoir voulu apaiser Trump par cette manœuvre, car le jour où le journal a annoncé sa position neutre, Trump rencontrait le PDG de Blue Origin, l’entreprise spatiale de Bezos...
 

Actions antitrust et anticoncentration contre les BigTech : le "techlash"

Il y a jusqu'à un certain point et pour des motivations différentes, une sorte de communauté de vue entre les deux partis, le GOP et les démocrates (DEMs) sur les risques associés aux activités des BigTech. Les démocrates et certains républicains s’inquiètent du fait que ces entreprises disposent d'autant de pouvoir sans suffisamment de contrôle de l'Etat.

La défiance de l’administration fédérale à l'encontre les BigTech avait en fait commencé dans l’ère Trump 1.0 quand, le Département de la Justice (DOJ) et la Commission Fédérale du Commerce (FTC) avait lancé des enquêtes sur Amazon, Apple, Google et Meta (facebook) sur leurs supposés comportements monopolistiques. Et depuis, dans l’ère Biden, quatre de ces sociétés de tech font l’objet de cinq poursuites au total pour abus de position dominante et notamment Google dans son activité de moteur de recherche qui pourrait conduire à son démantèlement. L’objectif de ces actions en justice est d'encourager davantage de compétition et d’innovation de la part d’autres acteurs notamment les startups en concurrence. "Le capitalisme sans concurrence n’est pas le capitalisme ; c’est de l’exploitation", a déclaré Biden.

L’inquiétude de la société américaine au sujet de l’intelligence artificielle et la baisse de confiance dans les entreprises technologiques sont des tendances sur lesquelles les Américains sont plutôt d’accord.

Un phénomène notable dans ces élections est que cet environnement actuel méfiant à l'endroit des BigTech aboutit souvent à d’étranges associations entre les deux bords, GOP et DEMs, sur les questions de politique technologique, où les politiciens semblent s’aligner sur un objectif commun mais pour des raisons différentes et leurs alliances bipartisanes ne produisent souvent pas de résultats. Comme le projet d'internet haut débit pour tous.

Le retour de bâton contre les entreprises technologiques (techlash comme tech backlash) et leurs rôles supposés dans la politique et la culture devrait persister sous Trump 2.0 avec plus d’intensité mais avec une approche tournée sur la compétitivité des entreprises américaines de la tech face à la Chine. Le but étant de veiller à ne pas laisser les BigTech par leurs énormes moyens ou par des avantages organiques -comme l'accès à des quantités énorme de données de qualité (moteurs de recherches, email, réseaux sociaux...)- étouffer l'innovation hors de leurs murs et empêcher les startups de se développer et de passer à l'échelle. Mais ce sera quand même l'occasion de régler des comptes et d’imposer des sanctions aux BigTech sous la forme d’enquêtes réglementaires de la commission du commerce (anti trust) la FTC ou du ministère de la justice ou encore du Congrès. Mais il faut aussi veiller ne pas les affaiblir. Ainsi, il faudra pas mal de doigté pour trouver un équilibre viable qui évoluera forcement dans le temp du fait de la grande rapidité des innovations dans les domaines les plus avancés comme l'I.A.ou l'informatique quantique.

Depuis qu’elle a été nommée présidente de la Federal Trade Commission (FTC) en janvier 2021, Lina Khan professeur à l'université de Columbia, une forte personnalité, a tenté avec plus ou moins de succès une "révolution antitrust" destinée à freiner les Big Tech dans leur croissance jugée nuisible au reste de ce secteur voire au-delà.

Elle formait une sortie de puissant trio antitrust avec pendant deux ans à la Maison Blanche Tim Wu, également professeur à Columbia, et Jonathan Kanter qui a dirigé la division antitrust du Ministère de la Justice. Tim Wu a été l'un des principaux partisans d'une approche plus agressive du contrôle du pouvoir des grandes entreprises et des BigTech en particulier. Il avait inventé dans le passé le concept de "net neutralité" pour casser les monopoles des géants des télécommunications.

Après que Trump ait choisi J.D. Vance comme colistier, il y a eu des spéculations sur la question de savoir si Lina Khan dont le terme était septembre 2024 resterait sous Trump 2.0 grâce aux commentaires positifs de J.D Vance sur son approche antitrust agressive. "Je considère Lina Khan comme l’une des rares personnes de l’administration Biden qui, je pense, fait du bon travail", et ce, en contradiction avec la plupart de ses collègues républicains.

Les réglementations antitrust que Lena Khan a voulu mettre en œuvre, vont probablement disparaître ou être affaiblies, car elles ont notamment empêché ou gêner les fusions et les acquisitions qui sont jugées nécessaires pour générer de la croissance. En effet, les grandes entreprises regardent ces petites entreprises innover et les perçoivent comme très perturbatrices de leurs modèles existants et elles voudront probablement intégrer une partie de cet ADN dans leurs entreprises. Mais il faut pour cela réduire la complexité de la palette de régulations actuelles. C'est pourquoi, Trump a dit aux régulateurs : "si vous voulez ajouter une régulation vous devrez en retirer deux."
 

Trump 2.0 et l'Intelligence artificielle

Pour l’Intelligence artificielle les républicains préfèrent une approche plus laissezfaire que celle des DEMs. Ils ont dit vouloir abroger le décret de Biden sur l’intelligence artificielle d’octobre 2023 (Executive Order on the Safe, Secure, and Trustworthy Development and Use of Artificial Intelligence) qui selon eux "entrave l’innovation en IA" et "impose des idées de gauche radicale" à son développement. Il convient de soutenir le développement de l’I.A."enraciné dans la liberté d’expression et l’épanouissement humain".

Mais dans les rangs démocrates il n'y a pas eu de soutien inconditionnel au décret de Biden/Harris sur l'IA. Par exemple, le gouverneur démocrate de Californie Gavin Newsom a opposé son veto à un projet de loi (SB 1047) sur la sécurité de l’I.A.qui a divisé la Silicon Valley.
Il a qualifié le projet de loi de "bien intentionné", mais a noté que ses exigences équivalaient à des réglementations "strictes" qui pourraient peser sur les principales entreprises d'I.A.de l’État, alors que la Silicon Valley est en concurrence dans la course mondiale à l’IA.

Les législateurs californiens avaient pourtant adopté à une écrasante majorité ce projet de loi, appelé SB 1047. La mesure aurait rendu les entreprises technologiques légalement responsables des dommages causés par les modèles d’IA. En outre, le projet de loi exigeait que les entreprises technologiques mettent en place un "coupecircuit" pour la technologie de l’I.A.en cas d’utilisation abusive ou déviée.

De nombreux acteurs puissants de la Silicon Valley sauf Elon Musk, la société de capitalrisque Andreessen Horowitz, OpenAI et des associations professionnelle représentant Google et Meta, ont fait pression contre le projet de loi, affirmant qu’il ralentirait le développement de l’I.A.et étoufferait la croissance des entreprises en phase de démarrage. En Europe il y a eu une situation analogue de contestation au moment de la conception du AI Act.

Trump, pour sa part, a qualifié -peut être un peu trop rapidement- le décret de Biden sur l’I.A.de dangereux pour l’innovation et a promis de l’annuler dès le premier jour de son nouveau mandat. Le VicePrésident élu JD. Vance, qui a travaillé comme avocat et capital risqueur avant de se lancer en politique et qui pourrait diriger la politique d’I.A.dans la nouvelle administration Trump, a fait valoir que la réglementation de l’I.A.ne conduirait qu’à la domination du marché de l’I.A.par une poignée de grands acteurs, excluant ainsi les startups. Ce qui n’est pas acceptable pour le GOP. Sauf que face à la concurrence de la Chine dans l'I.A.il est essentiel d'avoir des BigTech puissantes capables d'innover rapidement et de rivaliser avec les entreprises chinoises. Et de les laisser racheter sans contrainte les startups les plus brillantes pour accélérer leur avance.
 

Pour ou contre les logiciels libres de l’I.A. : quels enjeux vus des républicains ?

Le VicePrésident élu J.D. Vance avait déclaré que les modèles d’I.A. open-source empêcheraient des "fous d’utiliser l’I.A. pour propager [notamment] un biaisage gauchiste". Son commentaire venait en réponse à l’argument de Vinod Khosla (célèbre capital risqueur), partisan d’OpenAI, le créateur de ChatGPT, selon lequel l’I.A. open-source était dangereuse car elle donnerait sans aucune précaution une technologie essentielle à la Chine, un rival géopolitique [où les entreprises de technologies sont libres de leurs mouvements]". "La solution est le logiciel libre", a écrit Vance en conclusion.

A ce sujet, un développement récent laisse penser que Trump 2.0 réfléchira à deux fois avant de soutenir le développement et la propagation des logiciels libres d’I.A. en s’interrogeant sur le fait de savoir si des logiciels libres d’I.A. comme le Llama de Meta pouvaient constituer une menace pour la sécurité des Etats Unis. Après la déclaration de Vance favorable à l'open source on voit se dessiner une contradiction et un changement possible de cap.

En effet, selon Reuters, les principales institutions de recherche chinoises liées à l’Armée Populaire de Libération (APL) ont utilisé le modèle Llama de Meta, accessible en logiciel libre pour développer un outil d’I.A. destiné à des applications militaires potentielles, selon des analystes et trois articles universitaires de juin 2024. Six chercheurs chinois de trois institutions, dont deux sous l’autorité de l’organisme de recherche principal de l’Armée populaire de libération (APL), l’Académie des sciences militaires (AMS), ont détaillé comment ils avaient utilisé une première version du Llama de Meta comme base pour ce qu’ils appellent "ChatBIT" qui a été affiné et optimisé pour les tâches de dialogue et de réponse aux questions dans le domaine militaire".

Curieusement, de son côté, Meta avait interdit aux agences gouvernementales américaines et à leurs sous-traitants d’utiliser Llama à des fins militaires mais vu le nouveau contexte géopolitique et a rapidement fait -le 4 novembre ! - une sorte de volteface en indiquant récemment dans un post sur leur blog qu'ils avaient annulé ces restrictions. "Pour META, l’I.A. en logiciel libre peut aider l’Amérique à être leader en matière d’I.A.et à renforcer la sécurité mondiale : nous sommes heureux de confirmer que nous mettons également Llama à la disposition des agences gouvernementales américaines, y compris celles qui travaillent sur des applications de défense et de sécurité nationale, ainsi que des partenaires du secteur privé qui soutiennent leur travail. "

Mais de toutes les façons, tout effort visant à réglementer les modèles d’I.A. open source se heurterait à la tâche difficile de déterminer quels modèles sont trop puissants pour être ouverts aux concurrents des Etats-Unis, en particulier dans un domaine qui progresse aussi rapidement que l’IA. Et sachant que la focalisation sur les modèles LLMs géants est en train de se déplacer vers des solutions plus petites et plus agiles.
 

Trump 2.0, l'I.A.et l'énergie

Selon R Street Institute, Il est probable que les politiques en matière d' I.A. seront étroitement liées aux priorités énergétiques, Donald Trump visant à tirer parti de la promesse de son parti de favoriser des sources d'énergie "fiables, abondantes et abordables." Ces ressources sont cruciales pour répondre aux besoins énergétiques croissants de l'IA. Les objectifs liés à l’IA serviront à soutenir les réformes des procédures d'autorisation ainsi qu'à alléger la réglementation sur certaines restrictions énergétiques et environnementales, dans le but de favoriser des sources d'énergie plus abondantes, notamment l'énergie nucléaire.
 

Trump 2.0 et l'informatique quantique

Durant le premier mandat de Donald Trump, son administration a investi de façon significative dans les technologies quantiques, principalement grâce à la loi sur l’Initiative quantique nationale (NQI) de 2018, qui a alloué plus de 1,2 milliard de dollars à la recherche et au développement dans ce domaine. Cette loi a permis de créer des centres de recherche et de promouvoir la collaboration entre le gouvernement, le monde académique et l’industrie. L’administration Trump avait cherché à maintenir le leadership des États-Unis en matière d’informatique quantique sur la scène internationale. Elle a mis en œuvre le Consortium pour le développement économique quantique (QED-C). Cette initiative a favorisé la création de partenariats public-privé pour stimuler l’innovation et assurer une main-d'œuvre qualifiée dans le domaine quantique (NIST, 2019). L'administration a également promulgué des décrets pour promouvoir la cybersécurité des technologies quantiques. Ces mesures visaient à atténuer les risques associés à l’impact potentiel de l'informatique quantique sur le chiffrement des données. A la fin de son premier mandat en 2020 le White House Office of Science and Technology Policy (OSTP) a lancé un le site officiel quantum.com du bureau de la coordination nationale pour le Quantique et la publication du rapport Quantum Frontiers Report qui identifie les principaux domaines de recherche en sciences de l’information quantique (QIS).

Elon Musk n'a pas encore pénétré le domaine de l'informatique quantique parce qu'il se concentre plutôt sur des technologies évolutives avec des applications prévisibles, comme les véhicules électriques et les fusées, ce qui contraste avec la nature imprévisible de l'informatique quantique. On peut penser que Musk ne s'engagera dans le quantique que lorsque des applications plus claires émergeront, en particulier dans des domaines tels que l'IA, la conduite autonome et l'aérospatiale mais, au gouvernement il poussera certainement à stimuler davantage de R&D dans le domaine.
 

La relation de Trump 2.0 avec la Silicon Valley

Depuis l’ouverture du WEB au monde en 1993, la Silicon Valley était restée très majoritairement démocrate (mais pas toute la Californie : on se souvient des gouverneurs républicains Reagan et Schwarzenegger) avec sa posture anti-establishment, rebelle et progressiste, anticôte est, et ses comportements parfois à la frontière de la légalité comme par exemple avec les lancements de PayPal ou de Uber. Sans parler de sa culture misogyne de frères "bro" "geeks" pas très progressiste de nos jours.

Cela a clairement changé avec le ralliement de célébrités de la Silicon Valley à la cause de Trump.
Une douzaine de milliardaires et grands patrons de la technologie de la Silicon Valley ont toutefois fortement soutenu Kamala Harris.

Parmi les soutiens de Trump on pouvait compter Peter Thiel, investisseur, cofondateur de PayPal et de la société de surveillance Palantir, en 2016. Et un capital risqueur célèbre, David Sachs avec le plus remarqué d'entre tous, Elon Musk. Dans le camp des pro Kamela Harris, on trouvait Sheryl Sandberg (ex Facebook), Reed Hastings (Netflix), Reid Hoffman (Linkedin), Vinod Khosla (capital risque) et la dernière épouse de Steve Jobs, Laurene Powell. Également Mark Cuban (milliardaire entrepreneur animateur du show TV SharkTank et propriétaire de l’équipe Dallas Mavericks), Mark Suster (capital risque à LA), et Ron Conway un autre célèbre investisseur de la Silicon Valley.

Selon le South China Morning Post, à la fin du mois d’août, plus de 800 investisseurs en capitalrisque s'étaient engagés à voter et à solliciter des dons pour Harris sur un nouveau site Web, VCsForKamala.org. Selon l’un des organisateurs du groupe, les signataires initiaux représentent un total de 150 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Les signataires actuels représentent un total de 276 milliards de dollars, selon les fondateurs du groupe.

Elon Musk a fait une contribution de plus de 100 millions de dollars à son America PAC (Political Action Committee) prorépublicain qui a dépensé 200 millions de dollars pour la campagne électorle , et a distribué 1 million de dollars par jour aux électeurs qui ont signé sa pétition en faveur de la liberté d’expression pendant les 14 jours précédant le vote.

Ses soutiens sont Douglas Leone de Sequoia Capital, Joe Lonsdale le cofondateur de Palantir Technologies, les frères Winklevoss cofondateurs de Facebook avec Mark Zuckerberg, Ken Howery cofondateur de Paypal et du Founders Fund, Shaun Maguire de Sequoia .Capital.
On peut noter que des dirigeants tels que Mark Zuckerberg de Meta, Tim Cook d’Apple et Sundar Pichai d’Alphabet ont commencé à s’adresser directement à M. Trump dans les semaines et les mois précédant le jour des élections. Evidemment rien de comparable avec la posture proéminente d’Elon Musk en faveur de Donald Trump.

Et après l’élection de Trump, les dirigeants et les fondateurs des plus grandes entreprises technologiques du monde l’ont félicité. Du fondateur d’Amazon Jeff Bezos et l’actuel PDG Andy Jassy à Satya Nadella de Microsoft et Mark Zuckerberg de Meta, Tim Cook d'Apple et Pat Gelsinger d’intel, certains des noms les plus puissants de l’industrie technologique ont rapidement pris un nouveau départ du bon pied avec le président élu. Quelques absents cependant comme comme les PDG Jensen Huang de NvidI.A.et Lisa Su d’AMD qui ont choisi de rester impartiaux ou discrets.

Une autre menace qui inquiète la Silicon Valley (et les millionnaires) c'était le projet de Biden/Harris de taxer les plusvalues latentes sur les actions et actifs c'est un impôt minimum de 25 % sur le revenu total, y compris les "gains non réalisés", ou croissance de l’actif, dépassant 100 millions de dollars.

C’est ce qu’on appelle "l’impôt minimum des millionnaires". Le Financial Times titrait "L’élite de la Silicon Valley ébranlée par la perspective d’un impôt sur les plusvalues latentes et décrivait la réaction hostile de la Silicon Valley :
… la taxe étoufferait l’innovation, car les fondateurs et les investisseurs dans les start-ups très performantes seraient pénalisés en cas d’augmentation importante de leurs valorisations. Marc Andreessen, un célèbre capital risqueur, a déclaré que si la taxe était promulguée, les start-ups deviendraient "complètement implausibles."
 

Le cas du "Little Tech Agenda" de la Silicon Valley

Deux capital risqueurs célèbres de la Silicon Valley, Marc Andreessen et Ben Horowitz de la société a16z connues comme pro-démocrates ont tourné leurs vestes pour soutenir le candidat Trump même si Ben Horowitz est ensuite en partie revenu sur sa décision.

Leur problème est qu'ils avaient énormément investi sur les cryptotechnologies. Mais l’administration Biden n’a pas du tout aidé les cryptos à réussir. Au contraire, elles ont en effet été perçues comme des arnaques et sévèrement surveillées et encadrées.

Coutumiers de la publication d'essais futuristes sur l'avenir de la technologie comme Software is eating the world, It’s Time to Build, Why AI Will Save the World et The TechnoOptimist Manifesto, leur dernier essai en juillet 2024, The Little Tech Agenda, traite de l'importance des startups par rapport aux grands groupes dans une vision développement de la compétitivité internationale des Etats Unis dans les technologies. Leur point de vue est bien que les "Big Tech" soient bien représentées à Washington D.C., leurs intérêts sont souvent en contradiction avec un avenir technologique positif, car elles sont plus intéressées par influencer la réglementation dans le sens de leurs intérêts et la préservation de leurs monopoles. Ils en concluent que les startups technologiques ont besoin d’une autre voix.

Essentiellement, le fait de surveiller les grands groupes pour empêcher ou leur rendre difficile l'acquisition de startups est insupportable pour les capitalrisqueurs à qui la possibilité d'introduire leurs startups en bourse est terriblement réduite depuis plusieurs années contrairement à l'époque de la bulle internet. En effet les achats de startups par les Bigtech et autres BigCos sont devenus pour les VCs  le moyen privilégié  de passer à l'échelle et de générer leurs plus-values.  Tout cela a le chic de mettre l'avenir des startups où investissent massivement les capital risqueurs en péril d’où Le Little Tech Agenda. On n'est jamais mieux servi que par soi-même !
 

Les réussites mitigées de Biden/Harris dans la tech aux EtatsUnis

Une partie des initiatives de Biden/Harris dans la technologie ont tourné autour de deux grands projets, celui qui concernait l’aide et l’incitation au développement d’une industrie forte à l’intérieur des États-Unis sur les circuits intégrés de nouvelle génération, c’est le CHIPS Act, et également ses programmes ACP et BEAD visant à donner à tous les citoyens américains dans les milieux ruraux l’accès à Internet avec un haut débit et un prix raisonnable.
 

La loi CHIPS et Science Act

Avec un budget de 39 milliards de dollars en subventions, elle a été créée pour revitaliser la production américaine de semi-conducteurs pour des raisons économiques et de sécurité nationale. Cependant, l'administration a dû faire face à des défis pour équilibrer les demandes de l'industrie, les normes environnementales et les droits des travailleurs, tout en maintenant la transparence.

Mais, des décisions récentes d'octobre 2024 ont assoupli certaines de ces exigences. Par exemple, l’administration Biden a annulé certaines normes de révision environnementale, et les détails du premier financement majeur, attribué à Polar Semiconductor, ont été gardés confidentiels, suscitant des préoccupations sur la transparence.

La loi CHIPS a été critiquée dans tous les milieux politiques. Les progressistes et les défenseurs des droits des travailleurs estiment que l’administration fait des compromis inacceptables sur les promesses en matière de travail et d’environnement. L’industrie des semi-conducteurs, pour sa part, a manifesté sa frustration face à la longueur des négociations et aux retards perçus.
Avec l'élection de D. Trump, l’avenir de la loi CHIPS pourrait changer. Le candidat Trump a critiqué la loi, plaidant plutôt pour des tarifs douaniers élevés pour encourager la production de semi-conducteurs aux États-Unis mais sans subventions. Il pourrait assouplir ou supprimer les conditions attachées aux subventions, ce qui inquiète certains partisans actuels du programme.

Et le financement de la loi CHIPS sera en grande partie réalisé sous Trump 2.0, ce qui pourrait avoir une influence sur l’application et les ajustements éventuels du programme. En outre, l'industrie des semi-conducteurs souhaite prolonger les avantages fiscaux prévus dans la loi CHIPS, qui doivent expirer en 2025.

Bien que la loi CHIPS représente une tentative significative pour renforcer la fabrication de technologies aux ÉtatsUnis, son exécution est entravée par des négociations complexes, un soutien politique évolutif et des résistances de l’industrie. Cette situation en évolution soulève des questions sur la durabilité de l'héritage technologique de Biden face à des priorités politiques changeantes.
 

Internet haut débit pour tous les Américains

Les programmes de promotion de l'internet à haut débit dans les zones rurales devaient contribuer à réduire la fracture numérique aux États-Unis : l’Affordable Connectivity Program (ACP), qui a fourni des subventions mensuelles à 23 millions de foyers pour se connecter à Internet. Le Congrès a créé l’ACP dans le cadre de la loi de 2021 sur l’investissement dans les infrastructures et l’emploi, allouant 14,2 milliards de dollars sur une période de cinq ans. Toutefois, selon techpolicy, l’utilisation des subventions a été plus élevée que prévu. Malgré un effort concerté de la part d’organisations de défense des droits civiques et d’intérêt public pour amener le Congrès à accorder un financement supplémentaire au programme et à le rendre permanent, le programme a manqué d’argent plus tôt cette année. Les perspectives de sa renaissance restent incertaines.
En 2021, l’administration Biden a aussi adopté la loi sur l’investissement dans les infrastructures et l’emploi, qui comprenait une disposition visant à donner 42,5 milliards de dollars au programme Broadband Equity, Access, and Deployment (BEAD) pour fournir aux zones mal desservies et rurales un accès à Internet à haut débit. À ce jour, il n’a connecté personne.

Dans ce contexte, en 2020, le service par satellite d’Elon Musk, Starlink, avait remporté un contrat de 885,5millions de dollars de la Federal Communications Commission (FCC) pour offrir un accès Internet haut débit par satellite à plus de 640 000 foyers et entreprises ruraux. Par un vote de 2023, la FCC a annulé le contrat. Ce qui a été perçu comme une manœuvre politique du fait des sympathies de Musk pour Trump. Au lieu de se concentrer sur la fourniture de haut débit dans les zones non desservies, l’administration aurait plutôt utilisé le programme pour faire avancer des objectifs politiques avec des réglementations qui incluent des exigences en matière de diversité, d’équité et d’inclusion, des règles sur le changement climatique, des contrôles des prix. On peut entrevoir que Musk va tout faire sous Trump 2.0 pour ré-obtenir son contrat de Starlink. Pour y parvenir, SpaceX a déclaré en octobre 2024 à la FCC qu’elle avait l’intention de rendre Starlink environ 10 fois plus rapide : "Des mises à jour petites mais significatives" peuvent augmenter la vitesse d’environ 100 Mbps à 1 Gbps. (En ce qui concerne les vitesses réelles en 2024, le site Web de Starlink indique que "les utilisateurs bénéficient généralement de vitesses de téléchargement comprises entre 25 et 220 Mbps, la majorité des utilisateurs bénéficiant de vitesses supérieures à 100 Mbps. Les vitesses de téléchargement sont généralement comprises entre 5 et 20 Mbps. )
D’autres facteurs ont ralenti le programme Haut débit pour tous comme "un environnement de mise en œuvre chaotique" marqué par des "dysfonctionnements et des retards" de la bureaucratie.
 

Elon Musk et Donald Trump

Musk aurait précédemment voté pour Joe Biden, Hillary Clinton et Barack Obama. Il s’est ensuite rapproché puis a soutenu le candidat Trump sur les questions d’immigration et de règlementation. Comme Trump, il déteste la presse généraliste qu’il surnomme "des politicards wokistes" d’où son achat de twitter devenu X pour 44 milliards de dollars pour assoir une conte- influence à son image sur les réseaux sociaux. Ce qui a bien servi durant la campagne de Trump.

Dans les mois qui ont précédé le vote, il a inondé la plateforme X/Twitter de messages pro-Trump, d’allégations de fraude électorale et d’avertissements selon lesquels Kamala Harris détruirait l’Amérique si elle remportait la Maison Blanche. En l’espace de 24 heures le mardi des élections, il a tweeté près de 200 fois, accumulant environ 955 millions de vues, après avoir publié en moyenne plus de 100 messages par jour au cours du mois précédant le vote."

Musk en veut à l'administration Biden : il a été vraiment choqué lorsque Biden ne l’a pas invité à un sommet sur les véhicules électriques en 2021 lui, qui selon beaucoup, a fait plus que quiconque pour rendre les véhicules électriques accessibles au grand public aux États-Unis. Et l'annulation de son contrat Starlink par la FCC l'a considérablement fâché.
 

Les rôles d'Elon Musk sous Trump 2.0

Dans l'administration Trump 2.0, Elon Musk s'est vu confier avec Vivek Ramaswamy ancien candidat républicain, la direction d’un nouvelle agence Fédérale dédié à "l’efficacité gouvernementale" et dénommée DOGE (“Department of Government Efficiency”) comme dogecoin le nom de la cryptomonnaie préférée de E. Musk dont le cours est monté de 20% suite à sa nomination et 150% depuis l'élection de Trump.. Cette agence sera probablement en dehors du gouvernement et sera chargé de fournir des conseils et des orientations à la Maison Blanche en relation avec l'Office of Management and Budget", bureau de la gestion et du budget. Musk a avancé qu'il pourrait économiser 2 trillions de $ à l'Etat Fédéral qui, pendant l'année fiscale 2024 a dépensé environ $6.8 trillions de $. Il répond à l'avance aux critiques en twittant "menace pour la démocratie ?  Non, menace pour la bureaucratie !!! ".

Selon le Washington Post, certains analystes doutent que l’effort se concrétise. Le Congrès doit approuver toute modification des crédits fédéraux, et il n’est pas clair que la commission Musk produira des recommandations à temps pour que les nouvelles majorités du GOP puissent agir. Trump a déclaré que le travail de la commission devait être achevé "au plus tard" le 4 juillet 2026, peu de temps avant les prochaines élections de mi-mandat.

Ce nouveau rôle permettra à Musk d’exercer un pouvoir important pour proposer des réductions significatives dans ce qu’il décrit comme une "immense bureaucratie fédérale" susceptible de freiner les ambitions de l’Amérique. Musk a par ailleurs affirmé son intention de promouvoir la déréglementation et d’influer sur les orientations américaines en matière d’intelligence artificielle, d’exploration spatiale et de véhicules électriques — des domaines dans lesquels il possède un intérêt personnel, notamment à travers ses entreprises xAI, SpaceX et Tesla.

Elon Musk pourrait également s’entourer de personnalités influentes de la Silicon Valley, telles que l’investisseur en technologies et podcasteur David Sacks, ou encore Palmer Luckey, cofondateur de la société de défense Anduril. Cependant, malgré son potentiel rôle au sein du gouvernement, ses responsabilités auprès de ses propres différentes entreprises resteront prioritaires, limitant ainsi le temps qu’il pourra dédier pleinement à cette fonction publique. On peut s'attendre à ce qu'une bonne partie de ses initiatives se concentrent sur les premiers mois de Trump 2.0.
 

En conclusion

Les thèmes centraux pour Trump 2.0 concernant le secteur de la technologie américaine restent ceux de la concurrence avec la Chine, du renforcement des technologies militaires dont l'I.A.et le quantique, de l'indépendance technologique nationale et de la volonté de réduire et simplifier les règlementations dans l'objectif de faciliter l'innovation et l'entreprenariat.

Il y a la volonté de cadrer et contrôler l'importance jugée trop forte des BigTech et leur influence sans pour autant leur couper les ailes ou les handicaper dans la compétition internationale et face à des réglementations étrangères jugées hostiles aux entreprises américaines et protectionnistes comme en Europe par exemple.

Baisser les impôts fait partie des objectifs ainsi que réduire le coût et la complexité et du fonctionnement de l'administration.
Trump est un pragmatique, plutôt courtermiste dans ses intuitions, et non un idéologue. Ses jugements impulsifs à l'emporte-pièce ne sont pas toujours suivis de mises en œuvre. Il n'a pas un amour propre qui pourrait l''empêcher de changer radicalement d'avis, sur un sujet après avoir écouté les opinions de plusieurs experts. Par exemple Trump pourrait ne pas complètement abroger la loi CHIPS de Biden, malgré ses propres critiques durant la campagne. D'autant que le succès actuel de cette loi n'est pas négligeable : le programme a déjà octroyé 33,7 milliards de dollars en subventions et prêts, avec des prévisions de création de plus de 124 000 emplois dans divers États américains, et bénéficie d’un soutien bipartite en raison de son impact sur l’économie locale et l’emploi.

Trump préférerait des tarifs douaniers protectionnistes aux subventions pour inciter la production nationale. Mais, disposer d'une industrie des semi-conducteurs plus forte sur le sol américain est perçu comme essentiel pour la sécurité et la stabilité économique des États-Unis, en couvrant des secteurs variés tels que la technologie, la défense et l’automobile. Et des républicains influents, dont des élus d'Etats bénéficiant de la loi CHIPS y sont favorable. Donc il y aura probablement des modifications mais elles permettront quand même de soutenir la fabrication nationale sans éliminer complètement cette loi.

Enfin, la présence l'Elon Musk autour de Donald Trump, soutenu par les célébrités de la Silicon Valley, va favoriser une attitude moins contraignante pour le secteur technologique sans que Trump ne renonce à certains de ses principes pour favoriser une économie de marché vive même si cela demande de mieux contrôler les nouvelles technologies comme l'I.A.et le quantique ainsi que les BigTech.
C'est pourquoi la technologie l'ère Trump 2.0 ne sera pas 100% celle d'Elon Trump.
 
-o-o-
Georges Nahon est analyste des technologies numériques et le Silicon Valley, consultant, auteur et conférencier basé à Paris.
Précédemment Directeur Général d'orange à San Francisco pendant quinze ans
13 novembre 2024
Sources: techpolicy, Washington Post, Financial Times, Wall Street Journal, New York Tims, San Jose Mercury News, TheStreet.com, South China Morning Post, Fortune, TheInformation, Selon R Street Institute, Cathy Wood ARK Invest, SIA, ArsTechnica, Inc.. Et autres

Autres articles sur le même thème

image
Quoi de neuf dans la Silicon Valley ?
Du financement aux innovations, l'IA continue de dominer le secteur du numérique
Mag #18
Lire l'article
image
Quoi de neuf dans la Silicon Valley ?
Les sceptiques de l'IA ont dominé les médias pendant l'été technologique 2024 Bulle ou pas Bulle ? Et quel ROI ?
Mag #17
Lire l'article
image
Quoi de neuf dans la Silicon Valley ?
Un premier semestre 2024 en surchauffe pour l'IA générative présage un S2 effervescent
par Georges Nahon
Mag #15
Lire l'article
image
Quoi de neuf dans la Silicon Valley ?
Les défis et les perspectives des LLMs dans l'IA
par Georges Nahon
Mag #14
Lire l'article