L’exercice de prospective « France 2025 » avait été lancé en 2007 pour deux raisons. D’abord le constat que les pays capables de se projeter vers l’avenir (Singapour, Suisse, pays Nordiques…) étaient les plus compétitifs, et réciproquement. Ensuite, en raison des difficultés qui empêchaient les gouvernements successifs d’engager les évolutions nécessaires pour certaines politiques publiques. D’une part la remise en cause des orientations à chaque alternance. D’autre part la perte de confiance des Français dans le pouvoir et leur refus qu’il décide de ces orientations à leur place. Il était en outre apparu difficile pour nos concitoyens de trancher de ces sujets complexes par leur vote, notamment parce qu’ils sont mal informés sur l’exhaustivité des faits et des options possibles. A l’inverse, des initiatives comme la Conseil d’Orientation des Retraites avaient permis d’éviter que le débat reste focalisé sur les faits ou l’existence ou non d’un problème de financement, pour se concentrer sur le choix – durée et taux de cotisation, taux de remplacement…
France 2025 a été organisé avec la présidence de Jacques Delors, personnalité peu suspecte de complaisance avec le gouvernement de l’époque (présidé par Nicolas Sarkozy), pour permettre à ses travaux de survivre aux alternances et éviter le piège du clivage partisan. Les différents groupes parlementaires ainsi que les partenaires sociaux avaient été invités à suivre le déroulement des travaux, qui ont mobilisé plusieurs centaines d’experts internationaux ainsi que les services d’études des ministères. Le travail était piloté par le secrétariat d’Etat auprès du Premier Ministre chargé de la Prospective, de l’Evaluation des Politiques Publiques et du Numérique, avec le soutien des équipes de l’ex Commissariat au Plan.
Huit rapports résumant le constat sur les faits ont été publiés en 2008. Neuf rapports synthétisant les travaux (emploi, innovation, vivre ensemble, technologie…) ont été rendus publics en 2009, avec une communication malheureusement limitée par un remaniement ministériel. Certains ont regretté que les travaux ne comprennent pas un plan gouvernemental, mais ce n’était pas l’objet : l’exercice visait d’abord mettre des analyses et des faits à la disposition des français. L’exercice a été renouvelé sous une forme différente par la majorité suivante cinq ans plus tard.
Ceux qui reliront « France 2025 » s’arrêteront page 190 du rapport sur les politiques sociales – consacrée au risque d’une pandémie mondiale pouvant coûter des milliers de milliards et face à laquelle la France devrait renforcer ses capacités de gestion des crises. Sans résumer l’ensemble des travaux, on peut citer ceux dédiés à la stabilité mondiale et à la capacité d’influence de la France dans un monde multipolaire marqué par les conflits, les enjeux climatiques et le déplacement du centre de gravité global en direction des émergents d’alors, tels que la Chine ou l’Inde. Dans le domaine social, on citera le besoin croissant d’épanouissement au travail, d’autonomisation et de modernisation d’un style managérial marqué par un modèle éducatif hiérarchique, avec le besoin d’investir dans la formation et l’orientation. Sur les politiques d’innovation, le rapport soulignait le potentiel des technologies de l’information, des biotechnologies et des nanotechnologies et l’importance pour la France de conserver sa « classe créative » (chercheurs, entrepreneurs, intrapreneurs), tout en prêtant attention aux risques de fracture sociale et de méfiance croissante vis-à-vis de la science et du progrès technologique. Plusieurs risques de fracture étaient identifiés : clivage générationnel (faire payer par nos enfants nos impasses budgétaires ou défauts d’anticipation), inégalités territoriales ou d’accès aux services publics, grippage de l’ascenseur social...
Travailler à France 2025 au moment de la crise de 2008 n’allait pas de soi, et mieux informer les français sur les défis à horizon 2040 dans le contexte d’instabilité politique actuelle n’est pas non plus sans difficultés. Espérons cependant que François Bayrou, ancien Haut-Commissaire au Plan et nouveau Premier Ministre, puisse voir un intérêt à relancer un exercice de cette nature. Il permettrait de fournir aux Français des analyses sur les grands enjeux à venir. Il aiderait également à ce que les débats sur les prochaines présidentielles se nourrissent davantage des enjeux de long terme et donnent une orientation durable sur des décisions, plutôt que les faits ou sur des oppositions de styles ou de personnes.
Vincent Champain est dirigeant d’entreprise et président de l’Observatoire du Long Terme, think tank dédié aux enjeux de long terme.
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